Percevoir un salaire contre l’enseignement du Coran
Cheikh Mohamed Ali FERKOUS
La question :Quel est le jugement concernant la perception d’un salaire contre l’enseignement du Coran et des sciences de la Charia ?La réponse :Louange à Allah, Maître des Mondes; et paix et salut sur celui qu'Allah عزّ وجلّ a envoyé en miséricorde pour le monde entier, ainsi que sur sa Famille, ses Compagnons et ses Frères jusqu'au Jour de la Résurrection. Ceci dit :Sachez que la majorité des oulémas pensent qu’il est permis de percevoir un salaire en échange de l’enseignement du Coran. Ils se sont basés pour étayer cette opinion sur un hadith établi dans
Sahîh El-Boukhâri, rapporté par l’intermédiaire d’Ibn `Abbâs رضي الله عنهما, que le Prophète صلى اللهُ عليه وآله وسَلَّم dit :
« Le salaire le plus justifié est celui que vous prenez pour le Livre d’Allah» (1).
Il est établi également dans les deux
Sahîh (d’El-Boukhâri et de Mouslim) à propos de la femme que le Prophète صلى اللهُ عليه وآله وسَلَّم maria à un homme sous condition de lui apprendre ce qu’il connaît du Coran
(2) , et par le hadith dans lequel le Prophète صلى اللهُ عليه وآله وسَلَّم dit à `Omar Ibn El-Khattâb رضي الله عنه :
« Ce qu’Allah عزّ وجلّ t’as octroyé de cet argent sans que tu le réclames ou tu le convoites, prends-le, fais-le fructifier ou emploie-le en aumône. Mais ce qu’Allah ne t’a pas octroyé, ne t’y attache pas » (3).
Quant à l’argumentation des Hanafites et ceux qui les ont approuvés, ils se sont appuyés sur le hadith rapporté par l’intermédiaire de `Oubâda Ibn As-Sâmit رضي الله عنه qui a dit: « J’ai appris à des gens d’Es- Souffa
(4) l’écriture et le Coran, alors, un bonhomme parmi eux m’offrit un arc, je me dit qu’il ne s’agit pas d’argent et que je vais l’utiliser donc dans le sentier d’Allah عزّ وجلّ, et quand j’ai informé le Prophèteصلى اللهُ عليه وآله وسَلَّم, il me dit :
« Si tu veux qu’on te mette un collier en feu, alors accepte-le» (5).
Ce hadith a d’autres versions et des arguments qui le prouvent. En effet, le même sens du hadith a été rapporté par l’intermédiaire d’Oubay Ibn Ka`b, `Abd Ar-Rahmâne Ibn Chibl et `Imrâne Ibn Houssayn
(6), interprétant ainsi le hadith d’Ibn `Abbâs رضي الله عنهما comme désignant par salaire : la compensation.
D’autres pensent que le hadith est abrogé par les hadiths parlant de la menace de châtiment touchant les personnes qui perçoivent un salaire contre l’enseignement du Coran.
Parmi ces hadiths, celui de `Outhmâne Ibn El-Âs qui a dit :
« La dernière instruction que le Prophète صلى اللهُ عليه وآله وسَلَّم m’avait donnée était de désigner un muezzin qui ne demandera pas de salaire contre son Adhân (appel à la prière) »(7).
La majorité des oulémas désapprouvent les arguments des hanafites et avancent que le hadith de `Oubâda comporte dans sa chaîne de narration El-Moughîra Ibn Ziyâd au sujet duquel il y a divergence (entre les savants de la tradition prophétique). Quant aux autres versions du hadith, elles ne sont pas valables et n’atteignent pas un degré de validité pour être pris comme arguments.
Pour cette raison, ils (la majorité des savants) ont argumenté du hadith d’Ibn `Abbâs رضي الله عنهما mentionné par El-Boukhâri, puisqu’il n’y a pas de divergence au sujet des narrateurs de ce hadith, jugeant ainsi par la
prépondérance à l’unanimité que le narrateur est digne de confiance ; cela est l’un des aspects de prépondérance par rapport à la chaîne des narrateurs (
Sanad), en considérant l’état de chaque narrateur.
Et même en admettant que l’ensemble de ces hadiths nous mènent à penser qu’il n’est pas permis (de percevoir un salaire contre l’enseignement du Coran) et qu’ils peuvent être des arguments pour la chose voulue, on dira alors que ces hadiths ne comportent pas une déclaration d’interdiction absolue, mais il s’agit plutôt d’évènements et de cas pouvant être interprétés différemment et mis en accord avec les hadiths authentiques, tel que démontré par Ibn Hadjar
(8), et Ech-Chawkâni dans
Nayl El-Awtâr (9).
Quant à l’interprétation du terme « Salaire » par « Récompense » dans le hadith d’Ibn `Abbâs رضي الله عنهما, il est loin d’être vrai, car le contexte du hadith ne permet pas une telle interprétation, et dire qu’il est abrogé est également à écarter vu qu’on n’établit pas une abrogation sur la base d’une probabilité.
Sur ce, quelques savants ont concilié ces hadiths qui, à première vue, apparaissent contradictoires. En outre, le plus plausible aspect de conciliation de ces hadiths est d’interpréter le hadith d’Ibn `Abbâs رضي الله عنهما comme ayant un sens général, en incluant l’enseignement du Coran et les sciences de la Charia, la perception d’un salaire contre la récitation du Coran pour celui qui demande au récitant et la réception d’un salaire en échange de
Roqya (exorcisme) ou telles choses ; on spécifie de cette généralité, l’enseignement d’une personne religieusement responsable, tandis que le reste fait partie de la généralité susdite; ceci est, en effet, l’avis d’Ech-Chawkâni
(10).
À mon avis, il est permis de percevoir un salaire en tant que source de subsistance contre le fait de se consacrer à accomplir les actes de piétés d’une façon parfaite sans que cela soit en échange des actes d’obéissance mais plutôt pour aider à les accomplir.
En effet, se consacrer à acquérir de quoi subvenir à ses besoins et les besoins de ceux qui sont à sa charge détourne la personne du Coran et mène au délaissement de ce dernier et de la Charia droite par l’extinction de ceux qui mémorisent le Coran.
Toutefois, ceci n’exclut pas qu’il soit une œuvre de piété et ne met nullement en cause la sincérité de la personne, sinon on n’aura pas mérité les butins et les trophées de guerre. De plus, l’enseignement du Coran et des sciences de la Charia contribue à propager l’Islam et ses préceptes.
Pour cette raison, les Chafiites pensent qu’il est permis de recevoir de l’argent contre l’enseignement du Coran, du
Fiqh (jurisprudence islamique) et des hadiths ; et ceci, contrairement à leur principe et leur école jurisprudentielle et ceci en utilisant
El-Istihsâne (11), adoptant ainsi l’opinion de la majorité des savants. Tout cela s’applique dans le cas où l’enseignant n’est pas rémunéré par l’autorité responsable ou autre.
Mais, en revanche, si l’enseignant reçoit un salaire de la part du ministère auquel il appartient, il lui sera interdit de prendre de l’argent en plus, de la part des parents d’élèves. Par ailleurs, le travail connu est rémunéré, et il n’a pas le droit de percevoir ce qui est en plus, sauf s’il fait un travail supplémentaire hors du cadre de son travail, sans pour autant causer de déséquilibre et de trouble dans le travail original ou dans son organisation. Le cas échéant, il lui est permis d’améliorer sa situation et d’aider sa famille en subvenant à leurs besoins essentiels en prenant le don supplémentaire connu contre son travail supplémentaire connu.
Et si quelqu’un le remplace dans son travail pour un besoin, il sera alors interdit au remplaçant de recevoir de l’argent à la place de la personne titulaire ; en revanche, ce dernier peut lui donner de son argent sans que le remplaçant demande l’argent qui ne lui appartient pas.
Le savoir parfait appartient à Allah عزّ وجلّ, et notre dernière invocation est qu'Allah, Seigneur des Mondes, soit Loué et que paix et salut soient sur notre Prophète Mohammed صلّى الله عليه وآله وسلّم, ainsi que sur sa Famille, ses Compagnons et ses Frères jusqu'au Jour de la Résurrection. Alger, le 12 Dhou El-Hidja 1420 H,
Correspondant au 19 mars 2000 G.
(1) Rapporté par El-Boukhâri, chapitre de « La médecine » (hadith 5737), Ed-Dâraqotni dans ses
Sounane (hadith 3082) et El-Bayhaqi dans ses
Sounane (hadith 2101) par l’intermédiaire d’Ibn `Abbâs رضي الله عنهما .
(2) Rapporté par El-Boukhâri, chapitre des « Mérites du Coran » (hadith 5029) et dans le chapitre du « Mariage » (hadith 5132) et Mouslim, chapitre du « Mariage » (hadith 3454) par l’intermédiaire de Sahl Ibn Sa`d رضي الله عنه .
(3) Rapporté par El-Boukhâri, chapitre de « La zakat » (hadith 1473), Mouslim, chapitre de « La zakat » (hadith 1045), En-Nassâ'i, chapitre de « La zakat » (hadith 2605) et cette énonciation lui appartient. Ce hadith est rapporté par l’intermédiaire de `Omar Ibn El-Khattâb رضي الله عنه. Voir :
Es-Silsila Es-Sahîha (2209).
(4) Es-Souffa : un préau ombreux dans La Mosquée du Prophète où les pauvres s’abritaient.
(5) Rapporté par Abou Dâwoûd, chapitre de « La rente » (hadith 3416), par Ibn Mâdjah, chapitre des « Commerces » (hadith 2157) et Ahmad (hadith 23357) par l’intermédiaire de `Oubâda Ibn Es-Sâmit رضي الله عنه. Ce hadith est jugé authentique par El-Albâni dans
Es-Silsila Es-Sahîha (hadith 2209).
(6) Voir quelques-uns de ces hadiths et leurs versions différentes dans
Irwâ' Al-Ghalîl (5/316) et
Es-Silsila Es-Sahîha (1/1/517).
(7) Rapporté par Et-Tirmidhi, chapitre de « La prière » (hadith 209) et Ibn Mâdjah, chapitre de « L’appel à la prière » (hadith 714) par l’intermédiaire de `Outhmâne Ibn Abi El-`Âs رضي الله عنه. Ce hadith est jugé authentique par El-Albâni dans
El-Irwâ' (5/316).
(8) Voir :
Fath El-Bâri (4/573).
(9) Voir :
Nayl El-Awtâr d’Ech-Chawkâni (7/35).
(10) Voir :
Wabl El-Ghamâm d’Ech-Chawkâni (2/161).
(11) El-Istihsâne: c’est le fait de laisser par
El-Moudjtahid (un jurisconsulte studieux), dans un cas déterminé, l’application d’un texte, d’un
Qiyâs (déduction par analogie) ou d’une règle générale, qui englobent le cas par leur généralité.
El-Moudjtahid se passe alors de ce jugement pour un autre dans lequel il y a un intérêt, à cause d’une nécessité, un usage général, un
Qiyâs caché ou un autre argument qui implique ce délaissement.
Source :http://ferkous.com/home/?q=fr/fatwa-fr-110